Nous étions 4 visiteurs, appartenant à l’AFPS (deux de Palestine 13, 2 de Palestine 33, dont l’une, franco-palestinienne, assurait les traductions). L’AFPS est l’association France-Palestine Solidarité (http://www.france-palestine.org). Nous étions basés à Gaza Ville, logés par le PMRS (Palestinian Medical Relief Society, la plus importante agence de santé primaire non gouvernementale de Palestine).
Nous avons parcouru à plusieurs reprises la si racornie bande de Gaza (360 km2 en théorie, un peu moins de 300 km2 en réalité car Israël interdit aux habitants de s’aventurer dans une bande contigüe à la frontière de 1 km de profondeur, zone de tir à vue, qui représente un peu plus de 18% du territoire). Sur ces 300 km2 (Marseille + Aubagne : même superficie), s’entassent, selon nos interlocuteurs de Gaza, 1,8 million d’habitants, ce qui fait une densité de 6000 habitants au km2, la plus forte au monde avec Hong-Kong… Et cette population est en prison et sous blocus. Le blocus de Gaza par Israël a été et continue d’être un crime contre l’humanité, contre lequel s’élèvent maintenant de plus en plus de voix populaires à l’étranger, mais hélas fort peu de gouvernements. Les vivres arrivent d’Israël (et sont vendus au prix fort aux Gazaouis) par quantité juste suffisante pour que la population de Gaza ne souffre pas d’une famine évidente, ce qui ternirait l’image d’Israël. Hélas, le blocus israélien dure depuis si longtemps (2007) qu’il est devenu une donnée complètement intégrée dans l’esprit des Gazaouis.
Les données démographiques, inquiétantes, se révèlent de façon très visible sur le terrain. La bande de Gaza est une ville quasiment continue, on ne peut plus parler d’espace campagnard, les champs dignes de ce nom sont très rares. Du nord au sud, les localités dénommées Beit Lahiya, Beit Hanoun, Gaza, Nuseirat, Deir al Balah, Khan Yunes, Rafah, sont continues, on ne peut pas savoir qu’on passe d’une localité à l’autre. Ce qui nous a frappés par rapport à notre dernière visite en 2008, c’est l’explosion de la construction urbaine. C’est donc que les matériaux de construction arrivent, on verra comment. Partout dans Gaza ville, des immeubles assez hauts (jusqu’à une quinzaine d’étages sur le front de mer), des grosses maisons, construits apparemment dans un grand désordre, sans plan urbanistique, mais qui témoigne de la nécessité absolue d’augmenter encore et encore le nombre de logements. En bas des immeubles, toutes sortes de commerces, alimentaires, vêtements, matériel de cuisine, informatique, qui n’existaient presque pas en 2008, qui paraissent à peu près correctement achalandés, mais qui ne sont pas, nous dit-on, à la portée de la bourse d’une bonne partie des habitants.
Comment cela se fait-il, alors que le blocus de Gaza par Israël continue d’être implacable ? Le Hamas gouverne Gaza depuis 2007. Et bien, toutes les importations qui ne viennent pas d’Israël passent par les fameux tunnels, au nombre d’à peu près 1300, tunnels qui relient la partie gazaouie de Rafah à l’Egypte (Rafah égyptienne et Sinaï). Certains de ces tunnels sont assez vastes pour admettre des voitures. Leur construction a coûté beaucoup de vies humaines (écroulement, bombardements israéliens), mais leur exploitation est très rentable : les propriétaires des tunnels sont devenus très riches, et maintenant ils appartiennent presque tous au Hamas.
Pourquoi n’y a t-il pas d’ouverture de la frontière égypto-palestinienne au commerce ? Si c’était le cas, la bande de Gaza ne tarderait pas à être rattachée à l’Egypte, un but recherché très vraisemblablement par Israël et les USA, mais qui est absolument incompatible avec la volonté des Gazaouis de rester des citoyens palestiniens. Au point de nous demander de ne pas parler en rentrant de Gaza, mais de Palestine. Il se pourrait qu’une entente vers une fusion territoriale Gaza-Egypte soit évoquée par les frères musulmans d’Egypte et le Hamas au pouvoir actuellement à Gaza, mais comment savoir ?
Nous avons l’impression que la population de Gaza fait actuellement face, non seulement au blocus et à l’emprisonnement complet réalisé par Israël (par terre, air et mer, la limite de pêche décrétée par Israël pour les pêcheurs Gazaouis étant de 3 miles nautiques, alors que la limite internationale est de 12 miles nautiques), sans parler des opérations militaires (guerres de fin 2008-début 2009, Novembre 2012, assassinats ciblés, attaques depuis la frontière), mais aussi à de très importantes difficultés, dans la vie sociale et personnelle de tous les jours, liées à la politique du Hamas. La préoccupation majeure du Hamas, d’après ce que nous avons appris de tous nos interlocuteurs, semble être de promouvoir l’ostracisme envers les femmes. Par exemple, de nouvelles lois voient le jour : séparation des garçons et des filles dés l’âge de 9 ans à l’école (et si il n’y a pas assez de filles dans un quartier pour créer une classe, tant pis pour elles), pas de réflexion (au contraire !) sur les familles très nombreuses et sur les mariages très précoces, deux préoccupations majeures des centres pour la femme et l’enfant que nous avons visités ; si un taxi collectif a une cliente femme à son bord, il ne peut prendre ensuite de clients hommes, etc... Ces brimades vont tout-à-fait à l’encontre de la mentalité palestinienne, ce qui fait que le Hamas est de plus en plus impopulaire (si élection il y avait, selon tous nos contacts, le Hamas ne remporterait plus que 30% des voix à peine. A noter que nous avons essayé de rencontrer des membres du Hamas (la commission de relations Hamas-Europe), mais il ne nous a pas été accordé de rendez-vous. Ce qui est également très grave, c’est que le Hamas semble ne plus « gérer », depuis un certain temps, la bande de Gaza (voirie, services sociaux), ce qui fait que ce sont des ONG et des associations qui y pallient tant bien que mal. Nous avons également entendu de graves accusations de clientélisme (« Je te donne de l’argent ou un travail, tu votes Hamas ») et même de corruption.
Nous avons eu par ailleurs le privilège de participer à la manifestation, émouvante, du 17 Avril en faveur des prisonniers. Le Hamas, présent, y était étrangement peu visible.
Ce qui nous amène à parler des diverses organisations que nous avons eu la chance de visiter : plusieurs remarquables centres pour la femme et l’enfant (soins, prévention, éducation à la santé mais aussi sociale, concernant la famille, le quartier), le PARC (Comité de secours agricole de Gaza) avec de très passionnantes réalisations et innovations dans le domaine agricole (greffes de plantes craignant la salinité du sol sur des racines la supportant) , le PCHR (Comité des droits de l’homme), dont le Président Raji Sourani est très pessimiste devant l’aveuglement de l’Occident, des associations promouvant la lecture, la culture, (Institut Tamer, Culture et Pensée libre), d’autres le parrainage d’enfants en détresse, pour finir par le département de français de l’Université d’El Aqsa, pépinière d’excellents étudiants que nous avons rencontrés, et l’Institut culturel français de Gaza, seul pont entre l’Occident et Gaza du point de vue culturel, dirigé par un jeune diplomate très dynamique qui préside aussi à la construction de très beaux nouveaux locaux.
Nous sommes rentrés en France avec beaucoup de reconnaissance envers la population de Gaza, généreuse à notre égard, ô combien, « battante » malgré des difficultés qui nous sembleraient insurmontables, résolue coûte que coûte à améliorer la condition de ses enfants et à rester palestiniens avant tout. Elle souhaite ardemment une unification politique, tout en sachant quel fossé sépare le Hamas de la branlante Autorité palestinienne.
Notre conviction au retour est la nécessité et l’urgence de l’action politique auprès de nos élus et de nos décideurs, car c’est toute une, ou plutôt plusieurs générations de palestiniens, qui subissent une vie privée de toute espèce de liberté, en contradiction totale avec le droit international.